LA MARINE IMPERIALE RUSSE ET LA GUERRE CIVILE- PARTIE I

Pascal De Romanovsky – Article publié en 5 parties. Mis en ligne en août 2008.

En cinq courts articles, l’historien Pascal de Romanovsky, livre une remarquable synthèse du sort de la Marine Impériale Russe et de ses Marins pendant la guerre civile de 1917 à 1922.

PREMIERE PARTIE: LA MARINE IMPERIALE RUSSE DANS LA GUERRE CIVILE

La Révolution Bolchevique a souvent été symboliquement représentée par un matelot rouge, victorieux pour les uns, sanguinaire pour les autres.

Malheureusement, force est de constater que la Révolution d’Octobre s’est faite avec les équipages de la Baltique qui furent à la pointe de tous les combats de rues, notamment face aux quelques défenseurs du Gouvernement provisoire : policiers, gendarmes, junkers (élèves officiers) sans oublier le célèbre bataillon féminin commandé par Marie BOTCHKAREVA. Ce rôle des marins fut immortalisé par l’action du Croiseur AURORA qui tira quelques obus sur le Palais d’Hiver le 25 octobre 1917.

Si cette forte présence de marins dans les rangs bolcheviques est une réalité, il est nécessaire de l’expliquer pour la comprendre sans toutefois la justifier.

D’ailleurs, ces marins qui furent ainsi les artisans de la victoire des Soviets en 1920, furent en grande partie massacrés par les troupes du Général Michel TOUKHATCHEVSKY, lors de la révolte de CRONSTADT le 18 mars 1921. Le leader des insurgés PETRITCHENKO s’enfuit alors en Finlande avec 670 survivants. La répression fut féroce, 99 marins du Cuirassé PETROPAVLOSK et 56 du Cuirassé SEBASTOPOL seront fusillés entre le 20 et le 24 mars. Au total, 2103 insurgés pour la plupart des marins seront massacrés. Ils avaient sans doute compris, mais trop tard, les véritables desseins des leaders communistes qui ne correspondaient plus aux idéaux des premiers révolutionnaires dont ils faisaient partie.

Cette vision de la Révolution et de la Guerre Civile où les Marins rouges sont omniprésents ne doit pas faire oublier que la Marine Impériale a aussi largement participé à la guerre civile du côté Blanc, sur tous les fronts, en Mer et sur terre lorsque les navires faisaient défaut.

Si il y a un sujet qui fut longtemps tabou pour les émigrés, c’est bien celui du nombre d’Officiers de l’Armée Impériale qui passèrent aux Rouges, volontairement ou pas, pour encadrer les troupes Bolcheviques (22 315 Officiers en 1918 d’après certains historiens). Ce mouvement de rapprochement avec les rouges fut amplifié par Léon TROSTKY après les premières défaites des troupes Bolcheviques en 1918 qui manquaient d’encadrement.

Dans la Marine ce phénomène fut beaucoup plus réduit, pour plusieurs raisons : la principale est atroce dans sa réalité puisqu’elle concerne le massacre systématique des Officiers de Marine dans les ports d’HELSINGFORS de CRONSTADT, de VYBORG et de SEBASTOPOL. Ainsi plusieurs milliers d’Officiers périrent après avoir été torturés, lynchés ou simplement fusillés dans le meilleur des cas.

A SEBASTOPOL des hordes d’ouvriers des arsenaux et des marins se livrèrent dans la ville à une chasse aux Officiers visitant chaque maison ou appartement.
Ma grand mère reçut ainsi la visite d’un groupe de bolcheviques qui venait arrêter son mari qui fort heureusement était en mer ce jour là. Les Officiers capturés furent noyés dans les bassins du port.
On pourrait multiplier les exemples de tueries systématiques, il faut noter notamment l’assassinat des Amiraux WIREN, NEPENINE, NEBOLSINE, BOUTAKOFF, REIN, KUROSH.

Ces exactions se déroulèrent également dans l’Armée Impériale où le scandaleux PRIKASE N° 1 institué par le Président du Gouvernement Provisoire Alexandre KERENSKY qui abolissait toute véritable hiérarchie, avait introduit une véritable gangrène dans les régiments. Mais la Marine Impériale fut plus systématiquement décapité.

La deuxième raison est plus lointaine puisqu’elle remonte à la fin de la Guerre Russo-japonaise où la tragédie navale de TSOUSHIMA le 14 mai 1905 marqua la fin de l’idée de supériorité de la Russie face au JAPON qu’elle considérait à l’époque comme une nation inférieure. Cette défaite provoqua chez les marins une incompréhension qui se transforma vite en discrédit vis à vis de l’autorité en général.

Enfin, les marins issus pour la plupart des villes portuaires, des arsenaux et de la Marine Marchande avaient par rapport à d’autres couches de la population russe un niveau d’éducation supérieur qui les rendit plus perméables aux idées socialistes et révolutionnaires. Ainsi la Marine Impériale connut avec la mutinerie de plusieurs unités dont le fameux cuirassé POTEMKINE en 1905, des remous particulièrement graves. Ces mouvements se faisaient l’écho des premières révoltes ouvrières à St. PETERSBOURG. La réaction de l’Etat Major de la Marine fut particulièrement sévère puisque le seul Officier révolté, le lieutenant de vaisseau SCHMIDT, leader des mutins, fut condamné à mort et qu’un grand nombre de marins furent exécutés après être passés en cour martiale.
Des unités débarquées furent également envoyées sur les côtes Baltes, pour écraser les mouvements indépendantistes et révolutionnaires qui profitaient des troubles pour se révolter contre l’autorité de St. PETERSBOURG. Cette brutalité explique sûrement le ralliement massif aux troupes bolcheviques des lettons quatorze ans plus tard.

Le 29 janvier 1918, le Soviet annonça la démobilisation de la Marine, les derniers responsables, les Amiraux BAKHIREFF et ROSVOZOFF qui avaient cherché à maintenir un semblant d’ordre furent brutalement limogés. A HELSINGFORS pour échapper aux troupes Allemandes, le Capitaine de Vaisseau A.M. STCHASNY réussit à faire appareiller la flotte russe pour le port de CRONSTADT. Pour le remercier les autorités Bolcheviques l’exécutèrent après un simulacre de procès au cours duquel Léon TROTZKY viendra personnellement exiger la peine de mort. Les Bolcheviques n’avaient alors rien à refuser aux Allemands.